Synthèse
Un jugement du tribunal d’arrondissement du 1er février 2023 conclut qu'est contraire au droit de l'UE le fait que l'AEDT exige qu’une réclamation contre un bulletin de taxation d’office doive être « dûment motivée » pour pouvoir être recevable. Les dispositions de la loi TVA luxembourgeoise ne sont, selon le tribunal d'arrondissement, ni en adéquation avec le principe d’équivalence (i.e. la comparaison avec la procédure en matière d’impôts directs) ni en adéquation avec le principe d’effectivité (i.e. la possibilité pour un assujetti de former un recours sans que la procédure à suivre soit insurmontable ou rendu particulièrement difficile).
En détail
L’AEDT a émis le 7 mai 2020 des bulletins de taxation d’office à l’encontre d’une société à responsabilité limitée établie au Luxembourg (ci-après « la Société ») pour les années 2017 et 2018.
Le 16 juillet 2020, la Société a introduit une réclamation contre ces bulletins.
Le 23 novembre 2020, le directeur de l’AEDT a notifié à la Société sa décision de rejeter sa réclamation, au motif qu’elle n’aurait pas été « dûment motivée ».
L’assignation de la Société tendait à la réformation de la décision directoriale, en d’autres termes, l’assignation visait à ce que le tribunal dise que la loi modifiée du 12 février 1979 concernant la taxe sur la valeur ajoutée (« loi TVA ») n’autorise pas le directeur de l’AEDT à déclarer une réclamation irrecevable au motif qu’elle ne serait pas « dûment motivée ».
L’AEDT demandait au tribunal de considérer toutes les demandes de la Société comme irrecevables et de rendre la taxation définitivement acquise.
Le tribunal examine si le caractère « dûment motivé » d’une réclamation peut influer sur sa recevabilité et si cette exigence de motivation est conforme au principe d’équivalence et au principe d’effectivité résultant de la jurisprudence européenne.
Les juridictions nationales ont pour mission de vérifier que les modalités procédurales destinées à assurer en droit interne la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit communautaire (en l’espèce : la TVA comme taxe tirée du droit de l’UE) sont conformes au principe d’équivalence et d’effectivité. Le tribunal centre donc son analyse sur les principes d’effectivité et d’équivalence.
Le principe d’équivalence relève de l’exigence qu’en l'absence de réglementation communautaire, il appartient à l'ordre juridique interne de chaque État membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit communautaire. Ces modalités ne doivent pas être moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne.
L’équivalence s’apprécie au regard des objet, cause et élément essentiels. Le tribunal compare la procédure de réclamation en matière de TVA avec celle en matière d’impôts directs, et constate une similitude entre les deux procédures dans la mesure où (i) la caractéristique essentielle est que chaque procédure vise à réclamer à l’encontre d’un bulletin d’imposition, (ii) la cause en est le désaccord avec la position de l’administration concernée et (iii) l’objet tient en la demande d’une reconsidération de l’imposition par le directeur de l’administration concernée.
Cette similitude, entre les deux procédures, constatée, le tribunal en compare les modalités et constate que l’exigence d’une réclamation « dûment motivée » n’existe que pour la procédure de réclamation en matière de TVA, la procédure en matière d’impôts directs se bornant à indiquer que la réclamation doit être opportune. Le tribunal constate des modalités moins favorables pour le recours en matière de TVA,
dans la mesure où en l’espèce la réclamation a été rejetée à défaut d’être dûment motivée, sans analyse du fond.
Le principe d’effectivité tient à l’exigence de ne pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire. Même si la loi TVA offre un recours au justiciable dans un délai qui ne rend pas impossible ou excessivement difficile l’exercice de son droit, c’est la nécessité de motiver dûment la réclamation qui rend le recours particulièrement difficile puisque, selon les cas, une réclamation peut être motivée mais jugée comme n’étant pas « dûment motivée », et être rejetée sur cette base sans analyse au fond.
Le tribunal constate donc que l’exigence qu’une réclamation soit « dûment motivée » n’est en adéquation ni avec le principe d’équivalence, ni avec le principe d’effectivité.
Le tribunal décide donc d’annuler la décision du directeur de l’AEDT du 23 novembre 2020 quant au refus d’évaluer le contenu de la réclamation de la Société du 16 juillet 2020 contre les bulletins de taxation d’office des années 2017 et 2018.
Le tribunal renvoie le dossier à l’AEDT pour que le directeur procède à une appréciation au fond de la réclamation de la Société.
Enfin, le tribunal juge que l’exigence qu’une réclamation contre un bulletin émis par l’AEDT soit « dûment motivée » résultant de l’article 76, §3, alinéa premier de la loi TVA n’est pas conforme au principe d’équivalence et au principe d’effectivité résultant de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne.
Il semble acquis que l’AEDT fera appel de cette décision
Il convient également de préciser que ce jugement pourrait avoir une portée significative s’il est confirmé par des juridictions supérieures. En effet, il est de jurisprudence constante que les réclamations à l’encontre des bulletins de taxation d’office soient dûment motivées. De plus, c’est la première fois, à notre connaissance, que l’exigence d’une réclamation « dûment motivée » est remise en cause avec succès par un assujetti, ce qui pourrait conduire à l’avenir à un revirement de jurisprudence.
Hasard du calendrier: le très récent projet de loi 8186 porte sur la potentielle modification des procédures de recours en matière d'impôts directs. La procédure judiciaire dans cette affaire en matière de TVA et le processus législatif en question dans le projet de loi sont donc à suivre en parallèle, le second étant susceptible d'influencer la première.